Il ne fait guère de doutes que l’usage croissant des outils digitaux en entreprise ait un impact sur l’environnement. D’où une série de réflexions qui s’installent afin de concilier innovation numérique et économie circulaire, à propos de laquelle un projet de loi est actuellement en discussion au Parlement.
La question de l’impact de l’usage des outils digitaux en entreprise pèse de tout son poids à l’heure où un grand nombre de structures est engagé dans un processus de transformation digitale. L’une des pistes de réflexion mène à l’économie circulaire, ce circuit économique plus vertueux où « rien ne se perd ». Et pas seulement. « L’économie circulaire ne concerne pas que le recyclage. Elle s’intéresse avant tout à l’économie des ressources », précise Emmanuelle Ledoux, directrice générale de l’Institut de l’économie circulaire (IEC).
L’idée est d’actualité : le gouvernement a mis sur pied un projet de loi « relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire », présenté au Parlement en juillet, où il est encore en discussion. L’idée séduit, aussi, car elle rapproche deux indispensables à la société : le développement de l’économie et la préservation de l’environnement. « Dans l’économie circulaire, il y a avant tout l’économie, insiste la directrice générale de l’Institut de l’économie circulaire. On la place souvent dans le champ des politiques environnementales, à juste titre, mais il s’agit avant tout de bonne gestion. Une gestion en bon père de famille qui consiste, par exemple, à ne pas acheter de neuf lorsque l’on peut réparer. »
Le discours s’applique aux particuliers comme aux entreprises. « A leur échelle, poursuit Emmanuelle Ledoux, dans le domaine des nouvelles technologies, cela peut se jouer sur les flottes d’ordinateurs ou de téléphones mobiles, pour lesquelles on peut réemployer plutôt que d’acheter du neuf ou avoir recours à des contrats portant sur des devices reconditionnés. »
Usages à mieux penser, paradoxes à surmonter
La directrice générale de l’Institut de l’économie circulaire invoque son propre vécu. Celui, en entreprise, où « les ordinateurs sont surdimensionnés par rapport aux besoins » des salariés. La plupart, il est vrai, n’ayant qu’à s’en servir pour des utilisations « basiques » d’un traitement de texte, d’un tableur ou d’une présentation. « Il y a sans doute une dimension de prestige pour l’entreprise qui rentre en ligne de compte », suppose Emmanuelle Ledoux. Où l’on se dit que oui, il n’y a peut-être pas besoin du Mac dernier cri à 2 000 euros. « S’interroger sur l’usage permet de réduire les coûts », assure l’experte.
C’est toute la question de l’émergence d’une économie de « fonctionnalité » : lorsque l’on a un trou à percer dans le mur de sa cuisine, mieux vaut faire en sorte d’avoir une perceuse à ce moment-là plutôt qu’en acheter une et la posséder toute l’année… pour rien ou presque. A transposer, selon l’Institut de l’économie circulaire, à l’entreprise et son matériel informatique.
En matière d’utilisation du numérique par les entreprises, beaucoup d’initiatives ont déjà vu le jour : sensibilisation (très) régulière sur l’impact de l’envoi des mails en entreprise, utilisation de la chaleur des data centers pour fournir des bâtiments alentours en énergie… Le big data permet de repérer certaines dépenses superflues ; la blockchain « une révolution organisationnelle : la désintermédiation », selon une note de l’Institut, rédigée en 2017. Mais la marge de progression reste importante. « Des mesures de bon sens sont prises », concède-t-on à l’IEC, même si « on a encore du mal à mesurer l’impact de nos usages digitaux au quotidien ».
Le lien entre économies numérique et circulaire ne manque pas de paradoxes. « Le secteur des nouvelles technologies est celui duquel on attend le plus d’innovations qui vont, finalement, réparer ce qu’une partie de l’usage accru du numérique a créé, confirme Emmanuelle Ledoux. Le numérique a amplifié le phénomène de surconsommation, mais c’est aussi sur Amazon ou Alibaba que l’on trouve les remèdes -réemploi ou location d’objets…-.»
L’un des gros leviers, selon la spécialiste, « c’est de jouer sur la commande publique », là où les volumes sont gros. Pour elle, « si l’on intègre des clauses d’économie circulaire à des marchés publics, on pourra agir sur les filières de façon massive ».
Un pan de la stratégie globale de l’entreprise
Comment procéder au sein de l’entreprise pour mettre en œuvre de nouvelles pratiques numériques plus « responsables » ? Selon le Baromètre 2019 de la transformation des entreprises (Ifop/Boyden), les cadres dirigeants seraient en première ligne pour mener à bien les diverses actions. Même avis du côté de l’Institut de l’économie circulaire : « Il faut que cela soit le fruit d’une stratégie qui parte de la direction, d’autant que les grandes entreprises sont de plus en plus challengées sur les questions de développement durable par leurs investisseurs, rapporte Emmanuelle Ledoux. L’économie circulaire a tendance à rester dans le champ du développement durable et de la RSE, mais pour qu’elle fonctionne, il faut qu’elle soit prise en compte dans la stratégie globale menée par la direction ».
L’Institut travaille d’ailleurs à la mise en place -complexe- « d’indicateurs d’économie circulaire », sortes de critères permettant de juger de l’action globale de l’entreprise en la matière (-réemploi de ressources, reconditionnement d’un objet, gains d’émissions de CO2 générés…).
En 2015, Bercy avait estimé l’apport potentiel de l’économie circulaire en France à pas moins de 500 000 emplois et 2,5% du PIB national.